TEXTE 2
Avec des mots
Et leurs souvenirs,
Faire un noyau
Que l'on puisse, ou presque
Tenir dans la main,
Un noyau de temps.
***
Quand un poème t'arrive,
Tu ne sais d'où ni pourquoi,
C'est comme si un oiseau
Venait se poser dans ta main,
Et tu te penches,
Tu te réchauffes à son corps.
On peut aussi partir
À la recherche de l'oiseau.
***
Si je fais couler du sable
De ma main gauche à ma paume droite,
C'est bien sûr pour le plaisir
De toucher la pierre devenue poudre,
Mais c'est aussi et davantage
Pour donner du corps au temps,
Pour ainsi sentir le temps
Couler, s'écouler
Et aussi le faire
Revenir en arrière, se renier.
En faisant glisser du sable,
J'écris un poème contre le temps.
***
Et si le poème
Était une bougie
Qui se consumerait
Sans jamais s'épuiser ?
***
Le poème
Nous met au monde.
***
Je vous donnerai des poèmes
Où vous vivrez
Comme l'olivier
Vit dans sa terre.
Vous y gagnerez
De faire vous aussi
Vos olives.
***
La beauté doit venir
D'un autre monde
Qui s'avance
Jusqu'au nôtre
Et parfois même
L'enveloppe.
Regarde
Cette chapelle romane,
Les prés alentour,
Le ciel qui s'incline,
Regarde et maintenant
Ose dire où nous sommes.
Eugène Guillevic, "Art poétique"