La fable partage avec l’épopée le privilège de se trouver aux origines de la littérature. Ésope invente la fable en Grèce au VIe siècle avant J.-C. Le travestissement animalier lui permet d’aller plus loin dans la satire sans s’exposer.
L’indien Bidpaï est le double oriental d’Ésope. Ses fables ont été traduites en arabe au VIIIe siècle ; alors qu’Ésope produit des fables courtes sans lien entre elles, la tradition indienne enchâsse les fables dans un récit continu. ,
Une reprise de la tradition des proverbes et emblèmes
Les livres d’emblèmes, en grande vogue au XVIIe siècle, ont eu une immense influence tant sur la réception des fables que sur leurs procédés de composition. Le recours à la structure de l’emblème permet à La Fontaine de s’émanciper du modèle d’Ésope, construit sur une stricte alternance du récit et de la moralité, systématiquement introduit par : « la fable montre que… » , L’anthropomorphisme
Au XVIIe siècle, la fable est un jeu de salon très prisé, elle s’invente en quelques heures comme une devinette à clé dont les auditeurs s’empressent de trouver le modèle. Parallèlement à cet usage mondain, se développe une tradition savante qui s’attache à traduire ou composer des fables à vocation pédagogique. Tout l’art de La Fontaine est de renouveler le genre en caractérisant les animaux dont il déroule le théâtre comme un miroir de la comédie humaine.
Le bestiaire de La Fontaine
« Je me sers d’animaux pour instruire les hommes », déclare La Fontaine dans la dédicace « au Dauphin » du premier recueil des Fables, paru en 1668. Les premières éditions des fables sont toutes illustrées, les gravures de Chauveau semblent faire partie intégrante de l’œuvre. Elles en ont ainsi inauguré une lecture, où l’image et le texte se reflètent mutuellement.
Une satire de la cour
La Fontaine caricature particulièrement la cour de Louis XIV, véritable microsociété où les liens de dépendances engendrent des comportements très particuliers : « Je définis la Cour un pays où les gens,
Sont ce qu’il plait au Prince, ou s’ils ne peuvent l’être,
Tâchent au moins de le paraître,
Peuple caméléon, peuple singe du maître ;
On dirait qu’un esprit anime mille corps ;
C’est bien là que les gens sont de simples ressorts. »
Les Obsèques de la Lionne, VIII, 14 , Granville traduit la fable en une image
Les graveurs du XIXe siècle renouvellent la lecture des fables. Granville s’autorise des interprétations. Dans l’illustration qu’il propose de l’Homme et son image, il embrasse toute la problématique de la fable en une seule image : il amoncelle miroirs et reflets, installant au centre le reflet d’un spectateur invisible qui se regarde. Le lecteur se trouve ainsi happé par le propos, obligé de regarder sa laideur.
La vision de Gustave Doré
Gustave Doré offre une vision très singulière de l’œuvre, sombre et tragique : il ne cherche pas à provoquer le rire, mais à susciter la terreur et la pitié ‒ non pas, certes, dans chacune des planches, mais dans un nombre suffisant pour donner à l’ensemble sa tonalité propre. Dessine-t-il un lion pour « Le Lion et le Rat », il le fait avec la précision du plus scrupuleux peintre animalier qui aurait travaillé sur modèle dans quelque ménagerie, portant en outre l’apparence de vérité jusqu’à installer son sujet dans un paysage exotique qui fait office de milieu naturel. L’édition pour enfants de Boutet de Montvel
Dans ses illustrations des Fables de La Fontaine, Boutet de Monvel renouvelle de façon intéressante le découpage de la page. Il fait cohabiter et se succéder des scènes situées dans des lieux et dans des temps différents. Il exploite la succession séquentielle résultant d'un découpage tabulaire.
La vision de Benjamin Rabier
Auteur de plus de deux cents albums, illustrateur pour la presse, la publicité, le dessin animé, Benjamin Rabier (1864-1939), dessinateur aussi prolifique que talentueux, donna naissance à tout un petit monde d'animaux malicieux, au comportement plus humain que les humains. Rien d'étonnant donc à ce que ce dessinateur animalier de génie ait illustré les Fables de la Fontaine.
La persistance d’un enchantement
Les Fables de La Fontaine deviennent à partir du XVIIIe siècle un instrument quasi obligatoire du système scolaire. Elles sont enseignées pour l’apprentissage de la langue et de la réthorique, apprises par cœur pour développer la mémoire, vidées de leur amertume et parfois remaniées pour servir d’emblèmes à une morale sociale d’un poignant conformisme. Au-delà de ces détournements, leurs animaux hantent les premiers livres d’enfants.